PHILOSOPHER EN PRISON.
Depuis 2 ans j'anime des ateliers de pratique philosophique avec des détenus dans une maison d’arrêt, à raison d’un atelier par semaine. Afin de parvenir à élaborer une réflexion philosophique, j’ai invité les personnes qui participaient à ces ateliers à développer certaines attitudes : prendre le temps de l’examen et de la réflexion au lieu de réagir, s’engager clairement dans un argument afin de l’examiner et de le soumettre à la critique, accepter de se tromper, ne pas craindre de dire des bêtises, accepter le jugement des autres plutôt que de le fuir (car de toute façon on n’échappe pas à ce jugement). Cela n’a pas été chose facile, car avant de comprendre l’intérêt de prendre le temps, il faut déjà prendre conscience d’une certaine précipitation, de ses causes et des problèmes qu’elle pose, avant de s’engager clairement il faut savoir qu’on est confus. Pour développer ces attitudes philosophiques, il est aussi nécessaire de renoncer à certains bénéfices que procurent la précipitation, la confusion, l’absence d’engagement, l’entêtement. Mais petit à petit, la plupart des personnes ont compris qu’elles pouvaient tirer de ce travail d’autres bénéfices plus importants. Elles sont devenues plus posées, plus à l’écoute, elles ont appris à faire abstraction de leurs nombreux problèmes personnels pour être présentes à la réflexion et elles ont pu vivre l’allègement que cela procure. L’un des détenus m’a dit un jour qu’avec les ateliers philo, il apprenait à laisser ses soucis dans sa cellule avant de venir. Cela lui faisait du bien car ensuite il pouvait les affronter et les regarder avec plus de recul. Les inhibitions liées au savoir ont été levées, quel plaisir alors de voir les détenus s’emparer de textes d’Epicure, d’Aristote, de Platon, de Sartre ou encore de contes issus de la tradition soufie ou bouddhiste et de se livrer au jeu des questions et des interprétations. Mais le mieux est de leur laisser la parole. Voici de petits retours écrits par certains des détenus, ils témoignent de ce que nous avons fait, mais aussi de la grille de lecture de chacun. « J’ai bien aimé qu’on alterne les études de textes et les questions » « J’ai appris à écouter alors qu’avant je ne le faisais pas. J’ai appris à partager des conversations qui nous donnent à réfléchir. J’ai compris aussi qu’un « non » ne veut pas forcément dire non et qu’un « oui » ne veut pas forcément dire oui. Cela m’apporte un bien-être » « J’en ai appris un peu plus sur moi-même. J’ai découvert d’autres personnalités. J’ai appris à m’exprimer et à écouter les autres. Point négatif : trop de personnes arrivent en retard. » « Cours intéressant, ce cours m’a permis de me connaître (ma personnalité). Point négatif pas assez de temps pour s’affirmer. Un cours une fois par semaine ne suffit pas. » « Les échanges sont positifs, cela permet d’avancer dans sa vie. « Il faudrait un peu moins pousser les gens dans leurs retranchements » « ça m’a permis d’apprendre à me détendre et à essayer d’avoir des réponses à mes questions. » « Cela m’a apporté plus de confiance pour mieux m’exprimer. Une réflexion plus poussée (décortiquer les questions et les réponses). A mieux me connaître et à connaître d’autres personnes. C’est agréable d’avoir un groupe pour échanger. Négatif : le groupe n’est pas assez attentif et cela retarde les échanges. « ce que j’ai le plus aimé : le travail sur les textes, apprendre sur soi-même, l’écoute des autres »
Lettre de l’un des détenus remise au cours de l’année : « Bonjour Laurence Je me délecte de ces moments au café philo, où notre besoin de se connaître soi-même se fait sentir. Cette remise en question de soi-même, s’explique aussi par le fait de voir toutes les personnes présentes aux activités, dont certains sont acteurs, d’autres spectateurs. Je me suis demandé à la fin de la séance sur la honte avec le texte de Sartre pourquoi j’en suis arrivé à faire cette « bêtise » (pour rester poli) qui m’a emmené ici, et à cause de quoi ? Je ne sais pas si nous pouvons avoir des débats individuels car cela m’aiderait aussi à éclaircir ce point noir, point de départ de ma déchéance. Quel est vraiment ce déclencheur réel de ma situation ? Je voudrais vous remercier par ce courrier de vos cafés-philo et de prendre du temps pour nous écouter et pour canaliser les esprits »
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