ATELIERS DE PHILOSOPHIE AVEC DES DÉTENUS RADICALISÉS ET AUTRES
Régulièrement je me rends dans des prisons et des centres fermés pour animer des ateliers de pratique philosophique, j'y travaille entre autres avec des détenus radicalisés. Dans ces lieux, cette pratique de la philosophie prend un relief particulier avec un enjeu existentiel fort. Je voudrais en témoigner dans ces lignes.
Vous pourrez lire ci-dessous
1° un compte rendu de deux séances initiales. Il s’agit d’un travail de mise en place. Les premières séances sont en général mouvementées, car ce type d’atelier implique une forme de rapport au langage très inhabituel et déroutant, mais indispensable pour inviter les participants à dialoguer, à se décentrer, à s’écouter, à oser penser.
2° un compte rendu d’une séance avec des détenus qui, à la différence des premiers, ont l’habitude des ateliers. Depuis trois ans, je me rends dans une maison d’arrêt où j’anime des ateliers à raison de 2h par semaine. Pendant plusieurs mois le groupe de participants ne varie pas ou très peu. Une fois les règles admises et leur sens compris, nous pouvons approfondir le travail de réflexion. Parfois pour nous préparer et nous poser, nous commençons par quelques minutes de méditation. Nous travaillons ensuite sur des supports variés : images (dernièrement des photographies de Vivian Maier, mais aussi dessins de l’un des détenus très talentueux) ou textes (contes, fables, textes d’auteurs classiques de la philosophie). Dans le cadre de ces séances, il arrive aussi que j’invite les participants à devenir eux-mêmes animateurs, je deviens dans ce cas participante et je guide au besoin le travail de questionnement. Les détenus s’entraînent alors à leur tour à se positionner en creux en questionnant de manière socratique.
Au cours des ateliers j’invite les participants à un double travail : s’exercer aux compétences philosophiques (argumenter clairement, contre argumenter, questionner, problématiser, conceptualiser, exemplifier), mais aussi à se regarder penser, à penser ce qu’on dit sans se contenter de dire ce qu’on pense. Il s’agit alors d’un travail sur les attitudes avec une dimension introspective. Cette démarche permet de ne pas rester à la surface d’opinions toutes faites que l’on répète mécaniquement en s’y installant confortablement mais de façon mortifère, elle invite à une prise de parole plus vivante et authentique.
Pour garantir l’anonymat, j’ai changé les noms des participants.
I Deux séances de mises en place
Première séance:
Lorsque je commence des ateliers avec un nouveau groupe, la phase de mise en place nécessite du temps, de la patience, de la détermination, car je sais en général que cela déplait.
Cette phase permet un premier travail de prise de conscience de soi et des jeux que nous jouons dans un groupe sans généralement en avoir conscience.
Je présente l’atelier de philosophie : c’est un exercice avec ses règles dont les principales sont de lever la main avant de parler et de répondre aux questions.
En général, ces règles simples sont admises en théorie, mais dès qu’on passe à la pratique, elles sont très rarement voire jamais respectées. Dès que l’on tente de les appliquer, elles sont perçues comme l’expression d’une autorité et même d’un pouvoir injuste et excessif qui brime la parole. Il s’agit alors pour moi de montrer en en faisant ressentir l’intérêt que ces règles ont pour objectif de réguler la parole, d’empêcher les réactions précipitées pour permettre la réflexion, d’instaurer des moments silencieux d’où pourront surgir des idées, bref pendant un atelier, il n’est pas question de se contenter de s’exprimer, mais plutôt de se mettre en recherche.
La résistance et l’opposition
Ce jour-là dans le centre éducatif, ces règles ne manquent pas de créer une forte résistance. Steeve proteste pourquoi lèverait-il la main, « on n’est pas à l’école ! » s’exclame-t-il. Je remarque que ce n’est pas seulement à l’école qu’on lève la main avant de parler, cela aussi se fait dans des réunions d’adultes.
Si lui se voit à l’école et qu’il ne veut pas lever la main pour cette raison, cela montre un certain nombre de choses sur lui, sur son rapport au savoir et à l’autorité.
Je lui demande alors si on sent qu’il a bien aimé l’école. Il me répond « moitié/moitié » ce qui est une façon de ne pas se positionner. En principe tout le monde peut dire s’il a globalement aimé ou pas aimé l’école. Je fais remarquer à Steeve qu’il a du mal à se positionner et lui demande pourquoi en général on a du mal à le faire.
Mes questions sont perçues comme intrusives et dérangeantes même si je ne demande rien de personnel. Steeve n’est pas content, il proteste.
Des questions qui bousculent
Il est vrai que ces questions bousculent non parce qu’elles sont intrusives, mais parce qu’elles dévoilent les mensonges derrière lesquels nous nous dissimulons bien souvent.
Ces questions prennent la personne à ses propres mots. Elle ne peut plus mentir, elle ne peut plus se dissimuler en disant une chose et son contraire, elle (se) rend compte de ce qu’elle dit. Elle ne peut plus s’installer dan le confort délétère de la mauvaise foi.
Les mots et les phrases que nous utilisons sont significatifs, ils contiennent un certain nombre de présupposés sur lesquels s’articulent notre pensée et notre système de représentation. Et c’est ce qu’il s’agit de mettre au jour afin d’en prendre clairement conscience de le changer ou bien de l’assumer.
Questionner nos présupposés
Questionner nos présupposés, les bases de notre pensée puis assumer ce qui nous parait juste et vrai, n’est-ce pas cela « oser penser par soi-même » comme le suggérait Kant philosophe des lumières ? Comment pourrions-nous penser sans savoir ce que nous pensons, sans nous engager et sans assumer ?
Quand je dis que lever la main me rappelle l’école et que je n’ai pas envie de le faire. Mon propos contient un certain nombre de présupposés : j’indique que l’école n’est pas un bon souvenir, que je n’ai pas compris le sens de cette règle quand j’étais élève (on ne m’a probablement pas aidé à la comprendre). Si je l’ai appliquée, c’était plutôt par peur de la sanction. Cela indique aussi qu’une situation où il s’agit de lever la main me place immédiatement dans ce contexte scolaire et donc que je suis enfermé dans ce souvenir comme si la situation présente ne pouvait pas être différente.
J’indique alors à Steeve qu’il fait comme si j’étais la professeur, il l’admet (c’est assez logique puisque j’ai dit que j’ai été professeur, mais justement l’enjeu consiste pour moi à lui montrer qu’il s’agit d’un exercice assez différent de celui qu’on pratique généralement à l’école).
Je le questionne : s’il me voit en professeur logiquement, lui, comment se voit-il ?
Par cette question fermée, je voudrais le conduire à regarder son côté enfantin pour s’en dégager et s’appuyer sur une attitude plus adulte qui existe aussi en lui. Mais Steeve ne supporte pas ce miroir qui lui est renvoyé, il proteste.
Peut-être à ce moment-là aurais-je pu lui expliquer qu’il s’agit d’autre chose, d’une autre posture que celle du professeur qui apporte un savoir à l’élève qui ne le possède pas. Il s’agit de pousser la personne à se mettre en recherche à trouver ses propres réponses et à les examiner avec le groupe.
Steeve était-il en mesure d’entendre cette explication, de ressentir le sens qu’elle avait ?
Mais sur le coup, manquant probablement d’un recul suffisant sur la situation je n’explique pas.
C’est alors que Abdou sentant Steeve en difficulté tente de voler à son secours. « Vous n’avez pas le droit de traiter les gens ainsi » proteste-t-il en s’adressant à moi, « vous les mettez dans des cases, c’est insupportable ».
Peut-on juger ?
Il est vrai que notre époque a établi une sorte de tabou « il ne faut pas juger », « il ne faut pas catégoriser ». C’est tellement tabou qu’on ne sait plus toujours pourquoi il ne faudrait pas le faire et pourquoi ne pas juger peut poser problème. Certes catégoriser à partir de préjugés pour rejeter les autres et les classer une fois pour toutes comme cela se produit par exemple dans le cas des jugements racistes, homophobes, sexistes n’indique qu’un désir de repli sur soi et ne développe aucunement la réflexion.
Mais on peut juger et catégoriser dans un autre but : donner plus de clarté, comprendre l’autre et l’aider à se comprendre lui-même. En outre, il n’est pas possible de ne pas juger. Nous passons notre temps à le faire, alors autant porter des jugements éclairés, étayés par des arguments quitte à en changer si nous nous rendons compte par notre investigation que nous nous trompons. Autant juger avec discernement que se contenter de préjugés comme nous le faisons souvent, tout en prétendant ne pas le faire pour nous donner bonne conscience.
Abdou lui-même vient de juger que je juge et il ne cherche pas à comprendre pourquoi je fais cela, il pense maintenant seulement à rejeter ce que je propose.
Quand je le qualifie de sauveur, il se reconnait dans ce jugement. Il dit que c’est d’ailleurs cela qui l’a conduit dans ce centre fermé. Par cette posture, il tente de se donner un rôle qui a du sens et qui pourrait faire qu’on l’apprécie. Mais il ne veut pas voir le côté également problématique du sauveur qui agit souvent à la place de l’autre et par conséquent le rend impuissant.
Au bout d’un moment, les deux leaders du groupe finissent par prendre moins de place, ils ne peuvent plus jouer leur rôle habituel, alors ils se renfrognent.
Apprendre à se connaître
J’en profite pour donner la parole aux autres qui jusqu’ici ont plutôt été spectateurs. Je pose la question : quelqu’un comprend-il ce que nous faisons ? Christopher propose que nous sommes en train d’apprendre à mieux nous connaître. C’est en effet exactement la démarche socratique que je propose.
Je demande : quel est l’intérêt d’apprendre à mieux se connaitre ?
Nacer veut proposer une idée, je me rends compte qu’il a des difficultés d’élocution. Les leaders aussitôt commencent à pouffer de rire, mais Nacer se lance. Il bafouille nous essayons de comprendre les raisons de ce bafouillement. Il semble que ses pensées aillent trop vite dans sa tête. Je propose à Nacer de prendre son temps. Il le fait, il joue le jeu, il est intéressé pour se comprendre lui-même et comprendre les autres. Il propose l’idée que si on se comprend soi-même alors on peut avancer dans sa vie, sinon on fait du sur place.
Ibrahim, un jeune homme posé et en retrait jusqu’ici, propose que si on se comprend soi-même on peut comprendre les autres. Si on se connait soi-même, on sait vraiment ce qu’ils vivent, on sait que c’est parfois difficile. Par exemple il est arrivé qu’on change d’avis sur une question, ce changement s’est parfois accompagné de prises de conscience douloureuses. Quand on a connu cela chez soi, on sait que pour l’autre cela est également très difficile alors on est plus patient avec lui, on ne s’énerve pas.
J’aime bien cette idée d’Ibrahim, elle me donne à réfléchir et elle fait aussi réfléchir les autres. C’est le genre d’idées qui mérite de ne pas être oublié.
Pendant la suite de la séance, nous continuons sur ce thème « se connaitre ». Gaëtan, un jeune posé et réfléchi qui n’avait rien dit jusqu’ici prend également la parole.
Les leaders observent.
À la fin Steeve l’un des leaders qui s’était renfrogné, finit par proposer une idée, en levant la main ! Le voilà qui joue le jeu au dernier moment ! Son idée a du sens, elle est reconnue par le groupe. Tout le monde prend Steeve au sérieux à ce moment-là. Je vois un sourire s’esquisser sur son visage.
Deuxième séance
La constitution du groupe a un peu changé. Steeve est malade et n’est pas venu. Parmi les leaders de la fois précédente, il reste Abdou. Deux nouveaux participants sont présents.
Abdou est resté sur son idée de la dernière fois, je suis une personne qui catégorise, qui envoie des piques, il ne comprend pas le sens des règles de l’atelier. Il m’a jugée catégoriquement et il ne veut plus voir les choses autrement (c’est amusant pour une personne qui dit qu’elle n’aime pas les jugements).
Pendant toute la séance, il observe sans mot dire. Que se passe-t-il en lui ? Reste-t-il bloqué sur sa position ou bien des pensées sont-elles en train de bouger ?
Cette fois nous travaillons sur un conte bouddhiste dans lequel il est question de moines qui s’imposent une règle de silence, mais qui ne parviennent pas à la tenir. Je questionne alors le groupe : pourquoi ces hommes se donnent-ils cette règle de silence ?
Comme il y a de nouveaux arrivants dans le groupe, je recommence le travail sur la règle des prises de parole : lever la main sans se précipiter, ne pas lever la main et se mettre à parler en même temps, répondre aux questions. Cela prend à nouveau un certain temps. Antoine, un nouveau, fait à son tour figure de leader. Je prends le temps de le conduire à observer ses difficultés de concentration.
Amir répond à la question que j’ai posée et propose que la règle du silence dans le conte bouddhiste permet aux moines de ne pas céder à leurs instincts, elle leur permet de laisser émerger ce qu’il y a de plus profond dans leur âme. L’idée me semble intéressante et porteuse. Je remarque qu’Amir parle de façon posée. J’apprends par la suite qu’il se pose souvent en savant et parfois agace le groupe. Mais là il répond aux questions propose des idées intéressantes et semble accepter la remise en question lorsque je lui renvoie à lui aussi un miroir de ses attitudes.
Diverses hypothèses sont proposées sur le conte bouddhiste.
À la fin de l’atelier, nous faisons un retour. Certains participants se demandent pourquoi j’envoie « des piques ». Tout le monde ne perçoit pas pour autant ces « piques ». Il ne s’agit pas d’envoyer « des piques » disent certains, mais plutôt un miroir réfléchissant.
Il est probable que je ne sois pas toujours très adroite pour le faire…mais je sais aussi que l’exercice ne peut pas être agréable dans un premier temps, car cela va à l’encontre de l’image idéale de nous-mêmes que nous nous sommes forgée.
Il s’agit de montrer à Abdou qu’il a tendance à se placer en sauveur, à Antoine qu’il se précipite et peut tenir des propos contradictoires, à un autre qu’il n’ose pas s’engager clairement, à un autre encore qu’il ne s’écoute pas lui-même, etc.
Toutes ces postures ont du sens si elles ont été adoptées par les uns et les autres, mais elles posent aussi problème. Un des objectifs consiste à prendre conscience de ces attitudes et de ces problèmes afin de moins subir ce qui nous arrive, afin de ne pas s’y laisser enfermer et d’être attentif également au point de vue des autres, afin de pouvoir enfin oser, se risquer et penser.
II. Séance avec un groupe pratiquant des ateliers philosophiques une fois par semaine depuis plusieurs mois.
Ce jour-là, je propose de travailler sur la célèbre fable la Fontaine, le lièvre et la tortue. Tous les participants (une petite dizaine) ont déjà entendu parler de cette fable et connaissent l’histoire, mais nous prenons le temps de la relire et d’éclaircir la compréhension de certains termes ou expressions.
À tour de rôle chacun lit quelques vers de ce texte. Les niveaux de lecture sont très variables, un bon nombre de détenus peinent à lire, et certains ânonnent, tandis que deux d’entre eux lisent avec aisance. Cela nourrit pour les premiers des complexes, et l’énergie qu’ils mettent pour dissimuler leurs difficultés est dépensée au détriment de leur réflexion.
Malheureusement l’école ne nous apprend pas que nous pouvons nous tromper et que lorsque cela nous arrive, c’est un processus tout à fait normal et riche d’enseignement. Quand je me trompe, il y a toujours une certaine logique dans mon erreur. Prendre tranquillement le temps d’observer cette erreur me permet de me comprendre : je me suis trompé parce que je me précipite, parce que je manque de concentration, parce que je suis une certaine logique, mais la langue française -s’il s’agit d’un problème d’orthographe- comporte un certain nombre d’incohérences ou de bizarreries (exemple : verbes dont les participes passés diffèrent parce qu’appartenant à des groupes différents). Bref, il me semble intéressant d’observer nos erreurs et ce qui les produit, cela donne du pouvoir sur soi-même, le pouvoir de mieux faire.
Mais l’école enseigne plutôt la peur de se tromper. On le constate, quand un enfant fait une erreur, il s’empresse généralement de la gommer. Il préfère souvent tricher pour parvenir au résultat plutôt que se tromper et rectifier. Cette peur de se tromper perdure longtemps après l’école et produit bien des rigidités. À la limite certains professeurs tiennent le discours que se tromper ce n’est pas grave, mais tout dans leurs actes et dans le système de l’éducation nationale indique plutôt l’inverse : des résultats qui sélectionnent et mettent au rebut, jusqu’au smiley à la place des notes comme s’il s’agissait de faire passer la pilule de la réalité douloureuse d’un échec.
Quelques semaines auparavant nous avions observé avec Hervé comment la peur de se tromper finit par nous abrutir.
Ce jour-là comme il ne disait rien, je lui demandais s’il comprenait ce que venait de dire un autre participant. M’ayant répondu par l’affirmative, je lui demandais de répéter le contenu des propos en question, mais Hervé s’en révélait incapable. Pourquoi dès lors faire croire qu’il avait compris alors que ce n’était pas le cas ? Hervé ne voulait pas avoir l’air idiot, mais dissimuler son incompréhension ne l’aidait évidemment pas. Ayant pris conscience de l’inconvénient pour lui de cette crainte et de la dissimulation qu’elle produit, il s’est mis depuis ce jour à dire lorsqu’il ne comprend pas, il participe davantage, et je fais en sorte de valoriser aussi les idées pertinentes qu’il a pu avoir pendant les ateliers. Maintenant il paraît moins complexé et il se sent pleinement concerné par les textes que j’apporte et que nous questionnons et interprétons ensemble.
Mais revenons à La Fontaine et à la fable du lièvre et de la tortue.
Je questionne : pourquoi le lièvre a-t-il perdu la course ? Stéphane répond ( il n’est pas le participant le plus costaud, mais sans doute le plus lettré du groupe) :
- Parce que le lièvre ne voit pas qu’il y a d’autres compétences que la rapidité, il est comme ces sportifs qui pensent que seules comptent les activités physiques et le corps dans la vie, ils sont incapables de concevoir d’autres qualités comme la sagesse et la force de l’esprit. Le lièvre est donc incapable de voir les compétences de la tortue et comme elle n’a pas les mêmes que lui, il la traite de folle.
La réponse de Stéphane semble faire réfléchir le groupe. Tout le monde reconnait qu’elle a du sens.
Je demande alors : qui s’est déjà retrouvé dans la situation du lièvre tellement accroché à ses compétences physiques, à ses critères d’évaluation à lui, qu’il n’en voit pas d’autres ? Donc qui se reconnait dans lièvre parmi notre assemblée ? Une majorité des participants lève la main et moi aussi.
- Le lièvre est-il idiot ?
- Non, il est très doué et même très intelligent, car il est capable de ruser et de semer les chiens, dit Ibrahim en se référant à un passage de la fable.
- Quel est son problème ?
- Il est enfermé dans son point de vue, il a trop d’assurance et manque de sérieux, il n’est pas capable de se concentrer sur ce qu’il fait.
Je poursuis le questionnement :
- pourquoi la tortue se lance-t-elle dans cette course improbable et cela alors même que le lièvre lui dit qu’il la trouve folle ?
Abdel propose :
- 1° parce que si le lièvre ne l’a pas observé, elle, en revanche, a observé son adversaire, elle le voit fanfaron et sait que cela risque de le piéger lui-même. 2° elle veut se lancer un défi, cette course est aussi l’occasion de se mesurer à elle-même. Elle sait combien il importe de savoir se concentrer sur ce qu’on fait, elle veut s’exercer, se mettre à l’épreuve.
- La tortue a-t-elle des défauts ?
Omar (un participant qui fait de la musculation répond) :
- oui, elle est arrogante, à la fin elle se vante. Si le lièvre est aveuglé par ses compétences physiques, elle l’est par ses qualités morales.
- Quelqu’un a-t-il une objection ?
Kevin, un petit jeune qui vient d’arriver dans le groupe, n’est pas d’accord avec Omar :
- Si la tortue était vraiment arrogante, elle aurait méprisé l'activité du lièvre, se sentant supérieure, elle ne se serait même pas lancée dans la course. Ainsi voit-on certains intellos mépriser le foot et le sport ; s’y adonner ce seraient pour eux s’abaisser. Mais ce n’est pas le cas de la tortue puisqu’elle va sur le terrain du lièvre. À la fin, elle veut seulement lui donner une petite leçon, peut-être cette expérience lui ouvrira-t-elle les yeux, peut-être le rendra-t-elle plus attentif aux autres, à ceux qui ont des handicaps et n’en sont pas moins forts à leur manière.
L’idée de Kevin surprend tout le monde, car au départ nous avions été convaincus par Omar. Mais Kevin par son interprétation nous a fait voir les choses autrement.
Voici donc le résumé de l’une des séances d’atelier de pratique philosophique où chacun est invité à exercer des compétences philosophiques, mais aussi à s’observer lui-même afin de mieux se connaître.
Quelques questions proposées par les participants et auxquelles nous n’avons pas eu le temps de répondre.
Quel rapport le lièvre entretient-il avec le temps ?
Quel rapport la tortue entretient-elle avec le temps ?
À quelles conditions un handicap peut-il devenir une force ?
Nos qualités peuvent-elles être des handicaps ?