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Pourquoi avons-nous tendance à dramatiser ? Philosopher avec des collégiens.

Ils ne sont plus tout à fait des enfants, mais pas tout à fait encore des ados. Ils vivent un moment où tout change, tout vacille, tout se bouscule, ça leur donne un peu le tournis. Voici quelques unes des questions que nous avons abordées en ateliers de pratique philosophique : pourquoi faire des efforts ? Une fille et un garçon peuvent-ils être amis ? Comment faire la différence entre les critiques qui nous aident et celles qui nous démolissent ? Comment vivre la puberté ? Pourquoi avons-nous tendance à dramatiser ? Parfois je propose des questions parmi lesquelles ils choisissent, parfois ils proposent leurs questions et parfois aussi nous questionnons ce qui arrive dans l’instant et nous nous en étonnons.

Ce jour-là, les jeunes arrivent dans un grand état de tension. Que se passe-t-il ? Pourquoi une telle nervosité ? Ils m’expliquent : dans l’heure suivante, ils recevront les notes d’un contrôle, cela les stresse. À les regarder on dirait que c’est quasiment une question de vie ou de mort pour certains d’entre eux ! (je comprends, moi aussi il m’est arrivé de me mettre dans des états pareils). Puisque nous sommes en atelier philo, nous pouvons tranquillement observer ce qui se produit et le questionner : pourquoi se met-on ainsi dans tous ses états ? Est-ce seulement quand on reçoit une note ? Chloé dit que cela lui est arrivé aussi quand Éva n’est pas venue s’asseoir à côté d’elle. D’autres jeunes disent aussi qu’il leur arrive de paniquer dans certaines situations. Parfois donc nous dramatisons de petits événements qui paraissent sans gravité quand on prend un peu de recul. Je questionne les collégiens, est-ce que les humains ont généralement tendance à dramatiser ? - Oui, c’est très courant répondent-ils. - Mais les moutons n’ont pas l’air de faire des choses pareilles pourquoi les humains font-ils cela ?

J’impose un silence de quelques minutes pour que chacun prenne le temps de la réflexion sans se précipiter.

Au bout de quelques minutes, Keryan prend la parole : - On dramatise parce qu’on ne pense qu’à cette note qui nous embête, elle nous obsède, on ne voit que ça, on ne pense pas qu’un jour on l’aura complètement oubliée. - Mais pourquoi on n’arrive pas à penser à ce jour? - Parce qu’on s’enferme dans le présent. - On dramatise aussi parce que ça rend notre vie intéressante, propose Naomi. - Alors ça veut dire que si on ne dramatise pas on s’ennuie ? - Oui, on ne peut pas être comme les moutons à se contenter de brouter toute la journée. - Alors, heureusement qu’on peut penser qu’on va avoir une mauvaise note sinon on s’ennuierait ! Heureusement aussi qu’on peut penser que certainement Éva n’aime plus Chloé, si on ne pouvait pas penser ces catastrophes, comme la vie serait ennuyeuse ! Toute la classe rigole. - Il faut donc penser à ce qui est négatif, en avoir très peur et imaginer que le pire va arriver pour ne pas s’ennuyer. Qui aime dramatiser ? Personne ne se manifeste pour dire oui. - Mais alors pourquoi n’aimez-vous pas dramatiser puisque ça rend la vie intéressante? - Parce que c’est quand même trop stressant Madame ! dit Soane ! - Dramatiser est-ce que ça vous aide à affronter les problèmes ? - Non pas du tout ! On dramatise, on panique et c’est encore pire ! - Bon alors si vous en avez assez de dramatiser comment pouvez-vous faire ? - On pourrait se dire qu’il y a des choses plus intéressantes dans la vie que de ne pas s’ennuyer en dramatisant. - Comme quoi ? - Comme savoir bûcheronner dit Killian - Qu’est-ce que tu aimes dans le bûcheronnage ? - J'aime parce qu'avec mon papa, on va dans la forêt, on regarde les arbres, on réfléchit, on regarde lesquels il faut couper, et de quel côté ils vont tomber. - En effet, dans ce cas il vaut mieux réfléchir sans paniquer ! Merci pour ton exemple, est-ce qu’on pourrait généraliser : comment faire pour ne pas dramatiser ? - On peut se dire qu’apprendre quelque chose ça prend du temps et ce n’est pas parce qu’on a une, deux, trois mauvaises notes que c’est fichu dit Lilas. - On pourrait se dire que toute notre vie ne dépend pas d’une chose extérieure comme une note, ou une amie qui ne vient pas s’asseoir à côté de nous ajoute Théo. - Elle dépend de quoi alors votre vie ? - Elle dépend de ce qu’on apprend pour soi-même, sans paniquer.

Je précise qu’au cours ce dialogue j’ai invité certains des collégiens à travailler leurs attitudes afin de les aider à se mettre dans une démarche de réflexion et à mieux penser. Soane s’est demandé pourquoi il fait souvent le clown qu’est-ce qu’il y a d’intéressant dans cette attitude et qu’est-ce que ça pose comme problème dans un débat philo, Emma a cherché à comprendre pourquoi elle veut être si sérieuse (au contraire de Soane), l’avantage de cette posture et qu’est-ce que ça pose aussi comme problème pour penser, pareil avec Naomi qui est très timide en classe, mais pas du tout avec ses amis, etc. Et vous les adultes, si vous avez lu jusqu'ici est-ce que vous avez tendance à dramatiser ?


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