PRATIQUE PHILOSOPHIQUE VERSUS PHILOSOPHIE ACADÉMIQUE
Philosopher pour beaucoup de personnes qui sont passées par la classe de terminale, consiste à écouter un professeur ou une personne sur une estrade qui expose soit la pensée d’un auteur soit sa propre pensée (généralement nourrie de références à des auteurs classiques). Ce type de prestation peut nous ennuyer ou nous fasciner. Dans ce dernier cas, c’est un peu comme si nous regardions un bon match de foot à la télé. Écouter un bon orateur est agréable, il nous transporte et nous avons l’impression en l’écoutant, d’être intelligents, de même qu’on croirait presque pouvoir courir soi-même avec aisance sur le terrain en regardant la télé. Évidement il suffira d’essayer pour se rendre compte que nous sommes loin du compte. Le problème c’est qu’avec cette impression de facilité en écoutant le conférencier, nous ne voyons pas les heures de travail que l’orateur a derrière lui. Il s'agit d'heures de lectures, de questionnement, de réflexion et de mise en forme dans l’écriture et la parole. Le risque aussi avec de telles performances philosophiques, c’est que nous butons rapidement à la première difficulté. Face au modèle idéal qui nous est présenté, nous nous sentons nuls. Nous avons l’impression de bafouiller, à moins de baigner déjà par notre éducation dans un univers où la pratique du langage et de la réflexion est courante. Le philosophe conférencier, même plein de bonnes et généreuses intentions risque donc de nous rendre des plus passifs. Nous admirons les belles idées qu’il expose, nous les applaudissons, parfois même nous croyons presque les incarner, alors qu’il n’en est rien. L’émerveillement devant ces beaux discours peut même servir à fuir une réalité jugée triviale et douloureuse. Et l’on voit certaines personnes aller de conférences en conférences consommer des idées, ou encore lire une multitudes d'ouvrages qui les préservent d’une réalité jugée trop morne et ennuyeuse.
À l’inverse de la philosophie académique, la philosophie pratique invite chacun à aller sur le terrain. Plus question d’écouter passivement ni d’applaudir le conférencier. Ici on ne se contente pas de s’installer confortablement dans son fauteuil et de se dire que notre intelligence va être nourrie, il suffit d'absorber. Non, il s’agit de se risquer, de s’exercer, d’oser penser, de proposer une idée puis d’accepter de l’examiner. Peut-être a-t-elle du sens, peut-être est-elle creuse ou problématique, peu importe nous allons voir cela. L'atelier de pratique philosophique implique une exigence, pas question de se contenter de « rebondir » sur les propos d’une personne. La pensée « rebondissante » reste généralement très superficielle, nous fonctionnons ainsi souvent par analogie : ce que vous dites me fait penser à…qui me fait penser à…etc. La pratique philosophique invite à travailler la réflexion beaucoup plus en profondeur. C’est un exercice qui implique des gestes techniques, savoir repérer des présupposés dans un propos, puis les questionner. Identifier des concepts opératoires, problématiser une idée. Enfin, la pratique philosophique invite à une certaine prise de distance avec soi-même ce que ne nous demande jamais un conférencier, mais ce que demandait Socrate qui interpellait ses interlocuteurs. Il ne cherchait pas leurs applaudissements, mais bien plutôt à rentrer avec eux dans un dialogue qui n’était pas simplement un échange sympathique, qui n’était pas non plus une joute où chacun cherche à l’emporter, mais plutôt une façon de se mettre à l’épreuve de soi-même en se confrontant à l’autre.
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